La décision d’imposer, un visa biométrique aux visiteurs étrangers est tout simplement criminelle. Par Dom Bochel Guégan

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À partir du 1er juillet 2013, des visas biométriques seront désormais nécessaires pour les étrangers provenant de l’Union européenne souhaitant se rendre au Sénégal, pour une durée inférieure à trois mois. Une mesure incompréhensible pour notre contributrice, qui réside dans ce pays. Elle craint que le secteur touristique, déjà moribond, ne s’en relève pas.

La ville de Saint-Louis a accueilli en mai 2013 la 21e édition du festival de jazz (R.BLACKWELL/SIPA).

Photo La ville de Saint-Louis a accueilli en mai 2013 la 21e édition du festival de jazz (R.BLACKWELL/SIPA).

 

Adieu tourisme au Sénégal. On t’aimait bien, tu sais. Mais qu’elle est loin l’époque où on s’éclatait, avec notre copine de cheval, quand on prenait des bains de minuit, à poil sous la lune.

 

Adieu tourisme au Sénégal, lui qui a fait et fait vivre tant et tant de gens, depuis les infrastructures hôtelières à la restauration, en passant par le personnel de maison et tous les petits vendeurs, les agriculteurs, les pêcheurs, les menuisiers, tailleurs et tant d’autres.

 

Une économie en perte de vitesse

 

Il était déjà bien mal en point depuis quelques années, moribond, agonisant dans l’indifférence des dirigeants politiques, passé de neuf millions de visiteurs par an dans les années 1970 à 450.000 aujourd’hui, et seulement 4% de taux de fidélisation…

 

Pourtant, ce tourisme compte pour le pays. C’est la deuxième source de revenus après la pêche, c’est dire son importance. C’est dire, aussi, combien il serait nécessaire qu’on prenne davantage soin de lui. Au lieu de quoi, tout a été fait pour l’achever. À l’économie en perte de vitesse s’est ajouté l’état lamentable des paysages et de la capitale, Dakar, et l’accueil de plus en plus déficient.

 

Ordures, plastiques, déchets, pollution, voilà la vision qui est offerte aux visiteurs qui débarquent à l’aéroport et qui, après avoir échappé aux sollicitations de plus en plus pressantes des porteurs, vendeurs, changeurs de devises, finissent par monter dans des bus pour admirer sur des dizaines de kilomètres les séparant de la petite côte ou du Sine Saloum des champs de détritus à pertes de vue, des canaux obstrués de déchets et des arbres à plastique.

 

Comme entrée en matière, il y a mieux.

 

Photo prise à Djiffer au Sénégal (D.BOCHEL-GUÉGAN)

Abdoulaye Wade, le président du pays de 2000 à 2012, lui avait déjà porté un coup dur en augmentant, sous prétexte de financer un nouvel aéroport à Diass, les taxes aéroportuaires, faisant du billet d’avion pour venir à Dakar l’un des plus chers de la sous-région. À la TVA de 18% s’ajoute la taxe passager, passée de 22 euros en 2005 à 65 euros en 2009, plus une redevance de 60 euros établie en 2005. Merci président.

 

Et le tourisme au Sénégal d’aller de plus en plus mal. À chaque nouvelle année, un peu moins de visiteurs, un peu moins de devises et un peu moins de boulot pour ceux, et ils sont nombreux, qui en vivent. En parallèle, des conditions d’accueil et de sécurité qui se détériorent.

Une mesure démagogique

Aujourd’hui, c’est le nouveau gouvernement qui décide de l’achever en lui portant le coup de grâce, comme si cela n’était pas déjà assez difficile. Il a choisi de mettre en place une nouvelle mesure qui signera sans doute son arrêt de mort.

La décision d’imposer, pour une question de réciprocité avec la Franceun visa biométrique aux visiteurs étrangers résidant moins de 90 jours dans le pays n’est pas seulement populiste, elle est tout simplement criminelle puisqu’elle va tuer ce qui restait du tourisme sénégalais.

Question de souveraineté, de réciprocité disent-ils, question bien démagogique surtout, afin de démontrer au peuple sénégalais qu’on ne se laisse pas faire et que, puisque celui-ci se plaint des difficultés à obtenir un visa pour l’Europe, on va désormais en imposer tout autant aux visiteurs européens. Populiste et inapproprié compte-tenu de l’importance économique du tourisme au pays de la Teranga.

 

D’autant qu’un visa dit « biométrique » imposera aux touristes désireux de se rendre au Sénégal d’aller à l’ambassade ou au consulat pour y donner ses empreintes : compliqué, laborieux et coûteux (environ 60 euros), sans parler du flou artistique qui entoure cette annonce et son impréparation la plus totale puisque en réalité, rien n’est prêt.

 

Même le site qui doit être mis en place pour donner des informations au sujet de ce visa supposé être obligatoire à compter du 1er juillet ne fonctionne toujours pas et s’annonce en construction. De même que personne ne sait ce qu’il adviendra des bi-nationaux, ou des résidents qui vivent à demeure au Sénégal ou y séjournent, comme de nombreux retraités qui y séjournent plusieurs mois par an.

 

Des ressources naturelles uniques

 

Au lieu de faire comme le Maroc, par exemple, qui a bien compris l’importance de permettre aux plus nombreux de venir, non seulement sans trop de contraintes (absence de visa) mais également à moindre coût (nombreuses offres des compagnies aériennes), tout en prenant soin de la qualité de l’offre hôtelière, de la sécurité et de l’environnement, le Sénégal, lui, préfère choisir de faire comme ses voisins, la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, et d’imposer ce fameux visa.

 

Les dirigeants oublient au passage que leurs voisins africains possèdent, eux, suffisamment de ressources naturelles pour pouvoir se passer du tourisme, ayant de nombreux voyageurs liés aux affaires. Or, au Sénégal, hormis la pêche et les arachides, et un peu d’or, question ressources, c’est plutôt limité.

Le pire, finalement, c’est que le Sénégal possède de nombreux atouts touristiques : depuis le climat tempéré et toujours agréable jusqu’aux paysages – brousse, fleuves, savane, forêts, villes historiques ou villages typiques. Avec sa proximité géographique, sa nature, son histoire, son architecture, et surtout son peuple, le Sénégal a tout pour faire de lui une destination touristique de rêve.

 

Photo prise à Niassam au Sénégal (D.BOCHEL-GUÉGAN).

 

Des températures douces et tempérées tout au long de l’année, une mer sans danger, une savane encore préservée, des réserves naturelles, une diversité de sa faune et de sa flore incomparable et la langue française parlée quasiment partout par une population chaleureuse.

 

Alors qu’il faudrait aller dans le sens d’un meilleur accueil des touristes, d’une sensibilisation des populations au respect de leur environnement, alors qu’on devrait tout faire pour faciliter la venue de ces visiteurs, rendre leur séjour moins cher et plus agréable, tout porte à croire que le gouvernement fait tout pour les en décourager.

 

Mais que fait donc Youssou Ndour, le nouveau ministre du tourisme sénégalais ?

 

Photo prise à Niassam au Sénégal (D.BOCHEL-GUÉGAN).

 

Aujourd’hui, pour le prix d’un billet d’avion Paris-Dakar, on peut s’offrir une semaine dans un 4 étoiles, en all inclusive, en République Dominicaine.

Le calcul est simple, simpliste mais vite fait. Même si – mais cela le touriste risquera de ne jamais le savoir – il n’y a aucune comparaison possible entre un tourisme de masse et l’incroyable beauté qu’on peut rencontrer au détour des pistes sénégalaises, depuis des paysages à couper le souffle aux sourires éclatants de certaines rencontres tout simplement magiques.

 


Photo prise à Palmarin au Sénégal (D.BOCHEL-GUÉGAN).

 

Quel gâchis.

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